Lors d’une session des Assemblées annuelles de la Banque africaine de développement (BAD) ce jeudi à Abidjan en Côte d’ivoire, il a été mis en lumière que l’Afrique dispose de plus de 165 milliards de dollars de capitaux nationaux soit 95,000,334,000 FCFA, facilement mobilisables. Ces fonds pourraient significativement stimuler le développement du continent et réduire sa dépendance aux financements externes.
Un paradoxe du financement africain révélé
Des dirigeants de grandes institutions financières africaines ont remis en question l’idée reçue de la rareté du capital en Afrique lors d’une table ronde intitulée : « Tirer le meilleur parti du capital de l’Afrique pour favoriser son développement dans un contexte de défis économiques accrus ». Animée par Hassatou N’Sele, vice-présidente et directrice financière du Groupe de la BAD, cette discussion s’inscrivait dans les événements clés des Assemblées annuelles 2025.
Abena Amoah, directrice générale de la Bourse du Ghana, a souligné un paradoxe frappant : « Rien qu’en Afrique de l’Ouest, entre le Ghana et le Nigéria, nous avons des fonds de pension qui représentent près de 40 milliards de dollars et qui placent plus de 90 % de leurs actifs sous gestion dans des titres d’État, sous prétexte qu’ils n’ont pas d’opportunités d’investissement. » Elle a également révélé qu’en 2024, les Africains ont investi 125 milliards de dollars dans des actifs cryptographiques, le Nigéria représentant à lui seul plus de 65 milliards de dollars. « Où est passé tout cet argent hors du continent ? Et nous parlons de déficits de capitaux », a-t-elle interpellé, dénonçant un paradoxe dans le discours sur le financement du développement africain.
Des succès en mobilisation de capitaux et des pistes d’amélioration
Denys Denya, vice-président exécutif d’Afreximbank, a présenté les succès de son institution, ayant déployé plus de 22 milliards de dollars dans des mécanismes de réponse aux crises au cours de la dernière décennie. Il a mis en avant le Programme de dépôt des banques centrales d’Afreximbank, qui a vu les dépôts institutionnels africains passer de 14 millions de dollars en 2014 à plus de 34 milliards de dollars aujourd’hui. M. Denya a également mentionné une diversification des sources de financement, avec des levées de capitaux réussies sur les marchés japonais et chinois.
La table ronde a recommandé la mise en place urgente de marchés de capitaux profonds. Les pays africains doivent, selon les experts, prioriser la création de marchés financiers sophistiqués pour canaliser les 40 milliards de dollars de fonds de pension et l’épargne individuelle vers des investissements productifs.
Razia Khan, responsable de la recherche chez Standard Chartered Bank pour l’Afrique et le Moyen-Orient, a insisté sur la nécessité de résoudre l’instabilité macroéconomique, la volatilité des taux d’intérêt et les obstacles réglementaires qui freinent l’accès des femmes et des jeunes entrepreneurs au capital.
Ibrahima Diouf, conseiller spécial à la Banque ouest-africaine de développement (BOAD), a appelé à des changements culturels et politiques immédiats, exhortant la diaspora à investir en Afrique et à cesser d’investir à l’étranger. Chika Mordi, président de United Capital, a pointé des obstacles systémiques, notamment les taux d’emprunt gouvernementaux élevés qui détournent les banques du financement du secteur privé. Il a plaidé pour des environnements macroéconomiques stables, des mécanismes innovants de partage des bénéfices et des instruments d’atténuation des risques.
Un potentiel de croissance reconnu par S&P Global
Yann Le Pallec, président de S&P Global, a annoncé un engagement accru envers les marchés africains, soulignant la performance économique du continent et son rôle crucial dans la transition énergétique mondiale. L’agence de notation prévoit une croissance du PIB africain de 4,8 % en 2025, supérieure à la moyenne mondiale de 3 %. Cette performance s’est traduite par 11 ajustements positifs des notes souveraines de pays africains l’année dernière. M. Le Pallec a affirmé que l’Afrique est au cœur du développement économique, dépassant d’autres régions, notamment dans les initiatives de transition énergétique, malgré une infrastructure financière sous-optimale.
Admassu Tadesse, président et directeur général du Groupe de la Banque de commerce et de développement (TDB), a relevé les incohérences de l’architecture financière mondiale, particulièrement le traitement du financement du commerce lors des restructurations de dette, ce qui crée une dissuasion pour les institutions financières. Il a également évoqué la charge de conformité imposée par les banques internationales. Malgré ces défis, il a salué l’entrée de JPMorgan sur les marchés africains et l’engagement continu de Standard Chartered. Il a souligné le succès de leur approche expérimentale de création de fonds adaptés aux investisseurs institutionnels africains, dépassant les attentes et démontrant un fort appétit pour des opportunités d’investissement ajustées au risque sur le continent.
Un appel à la mobilisation interne des capitaux
Mme N’Sele a réaffirmé que l’Afrique ne manque pas de capitaux, mais de mécanismes pour les canaliser efficacement vers le développement. « L’Afrique possède un vaste capital humain, d’importantes ressources naturelles et des capacités institutionnelles croissantes. La question n’est pas de savoir si le capital existe, mais comment nous le mobilisons et le déployons pour bâtir des économies résilientes », a-t-elle déclaré.
Les panélistes ont unanimement conclu que la dépendance excessive à l’aide étrangère et la volatilité des marchés financiers mondiaux doivent céder la place à des stratégies d’investissement audacieuses menées par les pays eux-mêmes.
Solomon Quaynor, vice-président du Groupe de la BAD chargé du Secteur privé, de l’Industrialisation et de l’Infrastructure, a rappelé que « Nous parlons de 2100 milliards de dollars d’actifs sous gestion provenant des fonds de pension, des compagnies d’assurance et des fonds souverains africains. Mais plus de 80 % de cette somme est immobilisée dans les trésoreries publiques, où elle sert à financer des dépenses courantes et non le développement du capital. » Il a amplifié l’appel à mettre fin à la fuite des capitaux hors du continent, suggérant que la collaboration des pays développés est nécessaire pour freiner les flux illicites.
M. Quaynor a conclu en insistant sur l’importance d’une innovation intelligente et évolutive, proposant de tester les solutions au sein des institutions de développement avant de les étendre à l’ensemble de l’écosystème.